Le voyage qui n’aurait dû prendre que deux jours en avait pris quatre. Tous trois le regrettaient, mais Cyorah avait tout fait pour les ralentir, et elle y était parvenue. Bientôt arrivée aux portes de la capitale, l’équipe fit halte. Il était temps de décider d’un plan. Ceyaolt s’était remis tant bien que mal de ses blessures, mais les fruits de son entraînement suffiraient-ils à pallier l’absence de son œil droit ? Même lui en doutait.
— J’ai pas mal réfléchi pour le plan et le plus simple serait de dire que nos supérieurs nous ont demandé d’accompagner Ceyaolt voir un spécialiste à la capitale pour évaluer sa capacité à reprendre rapidement le combat ou non, proposa Lyvuun à ses amis. C’est vrai que l’armée à de bons médecins, s’il le fait remarquer nous pouvons aborder le fait que c’est une blessure causée par le sort d’un mage ? À moins que vous n’ayez une meilleure idée ?
Sohan réfléchit.
— Ça peut fonctionner, mais dans ce cas pourquoi nous cacher ? L’armée aurait pu simplement nous louer une chambre dans une auberge. Mon ami ne posera pas de questions, mais il vaut mieux tout prévoir.
— Tu marques un point.
Lyvuun croisa les bras en fixant le sol.
— Ton ami sait que tu fais partie de l’armée ? Rien de plus ? Si c’est le cas pourquoi ne pas dire que tu es en permission ? Tu voulais revenir ici pour revoir des amis et leur présenter ton futur mari ? Et s’il le faut, je me débrouillerai pour trouver une planque pas trop loin de chez lui, à moins que le fait qu’une de tes amies vous accompagne puisse passer ?
Sohan laissa échapper un rire.
— Il sait uniquement que je fais partie de l’armée oui, répondit-elle avec un sourire désabusé. Et ça risque de l’étonner que je désire me marier. Par contre en brodant sur l’idée du médecin sans donner trop de détails ça pourrait marcher.
Elle fit une pause.
— Si ça ne vous dérange pas, je vais aller le voir seule dans un premier temps. Installez-vous dans une taverne et je viendrai vous chercher quand j’aurai négocié notre séjour chez lui.
— Si tu penses qu’une simple visite amicale suffira comme explication, je te laisse faire.
Le groupe trouva rapidement une auberge proche de la porte de la ville. Une fois seule, Sohan se dirigea sans aucune hésitation dans les rues et les ruelles de Silva.
Au bout de quelques minutes, elle poussa la porte d’une maison à colombages rustique, mais bien entretenue. À l’intérieur, deux hommes à l’air patibulaire l’accueillirent froidement. La jeune femme prononça quelques mots, et l’un d’eux lui ouvrit la porte du mur du fond. L’espionne s’y engagea et y disparut.
***
Tandis que Sohan partait chez son ami, Lyvuun et Ceyaolt l’attendaient patiemment à l’auberge. Le guerrier somnolait toujours, laissant à la chevaucheuse le temps de se perdre dans ses pensées. Discrètement, elle sortit la mèche de cheveux abandonnée par Cyorah à son attention et la regarda. Une profonde nostalgie s’empara alors d’elle.
— Tu as des trophées bien étranges Ioruhama, murmura Ceyaolt. Tu as besoin de t’épancher me semble. Profites-en, je ne vais nulle part.
La remarque de Ceyaolt la fit sursauter, elle rangea la mèche de cheveux.
— Ça ira, ne t’en fais pas. Je vis avec ça depuis deux ans maintenant, un peu plus, un peu moins, ça ne fera pas de différence.
— J’ai surtout peur que tu te mettes en danger Ioruhama. Chez moi, on dit « si le cœur est un épi de maïs pourri, c’est le corps qui est infecté ».
Se redressant de sa couche, Ceyaolt se rapprocha de Lyvuun.
— Si tu as besoin de parler, je suis là. Mon œil surveillera tes arrières, et si tu as besoin d’un bras pour accomplir ta vengeance, je te prête le mien.
Il lui posa une main sur l’épaule.
— Et je suis sûr que Xochitluchuy Sohan sera d’accord avec moi. Tu n’es pas seule.
— Ce n’est pas réellement une vengeance qu’il me faudrait, mais une explication et ça, personne ne peut me la donner à part elle.
Ceyaolt étouffa un bâillement.
— C’est étrange que je sois encore aussi fatigué. J’ai perdu du sang, mais je me remets plus vite que ça d’habitude. C’est dommage que nous ne sachions pas quel est ce narcotique utilisé.
— Il en existe tellement que je doute qu’un médecin devine lequelle ça pourrait être, répondit Lyvuun en regardant à l’extérieur. À moins d’en avoir un échantillon sous la main je ne sais pas si Sohan a gardé les fioles.
Elle continua d’observer la rue agitée.
— Et on dirait que ta sieste attendra un peu, ajouta-t-elle en voyant Sohan apparaitre entre les passants.
La jeune femme entra dans l’auberge et se dirigea tout droit vers ses compagnons.
— C’est bon, il va nous accueillir. Suivez-moi.
Sur ces mots, elle fit demi-tour et ressortit dans la rue, Lyvuun et Ceyaolt sur les talons. Lorsqu’ils arrivèrent devant la haute maison, Sohan se retourna vers eux, l’air sérieux.
— Bon, pour notre sécurité à tous, il vaut mieux que je vous prévienne. Tant que nous ne nous serons pas arrêtés dans une pièce fermée, vous devez éviter d’observer les alentours et surtout ne pas fixer les personnes présentes.
Les deux compagnons hochant la tête, elle poussa la porte et ils débouchèrent dans un petit vestibule. Sans attendre une quelconque invitation, Sohan ouvrit la seconde porte située au fond de la pièce et gravit les escaliers. Dans la maison, un concert de sons en tout genre résonnait. Les trois amis montèrent encore un étage puis pénétrèrent une chambre de taille raisonnable, bien meublée. Ils étaient seuls dans la pièce.
— Si vous avez des questions, c’est le moment, dit Sohan en souriant. Mon ami devrait arriver dans quelques minutes. Je me doute que tout n’est pas clair actuellement.
— Xochitluchuy, Ioruhama Lyvuun m’a dit que tu avais peut-être la drogue utilisée contre nous. Puis-je la voir s’il te plaît ? Quant à ton ami, que lui as-tu dit exactement ?
Sohan eut l’air de se souvenir de l’existence des fioles. Elle les sortit et les tendit à Ceyaolt.
— La rouge est le somnifère, la verte de la béliane, indiqua-t-elle.
En voyant la fiole rouge, Ceyaolt blêmit. Il l’arracha presque des mains de la jeune fille et la déboucha, la portant à son nez.
— Non, c’est impossible !
Il versa quelques gouttes sur sa manche, qui vira au noir aux endroits touchés.
— C’est du etziltocalt, ça vient de chez moi !
Agité, il réfléchit.
— Il faut qu’on aille à l’ambassade, j’ai des questions qui méritent réponses.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Sohan en s’approchant de Ceyaolt pour observer les taches sur son vêtement.
— C’est un soporifique. On s’en sert chez moi calmer les gens désignés pour être sacrifiés à Huitzilopochtli, répondit froidement Ceyaolt.
Il détourna les yeux.
Sohan croisa le regard interloqué de Lyvuun. Ne voulant pas le brusquer plus que nécessaire, elle prit une voix douce.
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
Désabusé, l’Azca soupira :
— Aujourd’hui, c’est fini. Il y eut une rébellion contre les prêtresses de Huitzilopochtli. Mais c’est toujours douloureux pour moi. Elles tuaient des gens en leur arrachant le cœur vivant. Pour éviter qu’ils se débattent, elles les droguaient. Avec ça !
Il jeta violemment la fiole contre le mur.
— Et si cette horreur est là, c’est que l’une d’elles est ici. Et qu’elle travaille avec Cyorah !
Lyvuun blêmit.
— Il faut absolument les retrouver si tu dis vrai ! Avec un tel poison, Cyorah pourra aller encore plus loin dans ses expériences et je vous assure que celles qu’elle pratique sont déjà particulièrement malsaines.
Sohan resta bouche bée.
— Dans ce cas, allons-y tout de suite. Vous rencontrerez Edra plus tard, je trouverai quelque chose à dire pour expliquer notre disparition.
La décision prise, le trio retraversa la baraque dans l’autre sens, sans que quiconque fasse mine de les remarquer. Une fois à l’air libre, ils se dirigèrent rapidement vers le quartier des ambassades. Dans la rue, ils croisèrent un jeune homme à l’air sérieux qui fit un geste discret à l’attention de Sohan sans chercher à les arrêter.
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