Un bivouac établi plus tard, les griffonnes dessellées et brossées, Ceyaolt s’installa près du feu, profitant de la lumière mouvante pour réparer sa lance.
— Lactlido, dans la fonte gauche d’Azcalt, il y a une pochette de feuilles nouées par un lacet. Tu peux me l’apporter s’il te plaît ? J’ai les mains prises.
L’intéressée obéit, gardant un œil sur Lyvuun assise dans un coin en silence.
— C’est pour quoi faire ? demanda-t-elle en donnant la pochette à Ceyaolt.
— Pour réparer.
Il ouvrit la pochette de feuilles. Elle contenait une mixture noirâtre dégageant une odeur sucrée un peu écœurante.
— Ça vient de chez moi. On s’en sert pour coller les lames de pierre de feu noir au bois.
Ceyaolt étala une généreuse portion de matière sur le caillou prélevé plus tôt dans la plaie de leur agresseur, et l’enfonça sèchement dans la seule encoche vide présente sur l’extrémité de sa lance.
Sohan hocha la tête en signe de compréhension. Elle sortit de la viande ainsi que quelques fruits des sacs et commença la préparation. La viande fut vite mise à rôtir au-dessus du feu en équilibre sur une branche et les fruits lavés et prêts à être mangés.
Une fois sa réparation finie, Ceyaolt rangea son arme et entonna un chant plaintif, presque larmoyant, cela en se balançant d’avant en arrière.
La viande cuite, Sohan se leva pour proposer à manger à Lyvuun.
— Tiens, tu devrais manger, dit-elle en lui tendant deux pommes et un tiers de la viande.
Elle hésita une seconde et reprit tout bas.
— Je suis désolée pour tout à l’heure, je ne voulais pas te blesser.
Sans attendre de réponse, elle retourna s’asseoir près du feu.
— Attends ! s’exclama Lyvuun. C’est à moi de m’excuser, je n’avais pas à te parler de la sorte, surtout que tu n’es en aucun cas responsable de cette situation.
Elle semblait vouloir en dire plus, mais finis pas simplement la remercier pour la nourriture. Tout en mâchonnant, elle indiqua discrètement Ceyaolt du menton.
— Alors tu apprends des choses intéressantes avec notre ami ?
Arrêtée au bout de quelques pas, Sohan se retourna et lui sourit. Elle fit demi-tour et s’assit à côté de son acolyte.
— Je comprends ta situation, je crois. Aucun souci pour rien.
Puis elle regarda Ceyaolt et rougit légèrement.
— Hum oui, comment réparer ses armes, par exemple.
— Par exemple, oui.
Lyvuun mordit dans sa viande en laissant échapper un véritable sourire cette fois-ci.
Sohan se racla la gorge bruyamment en rougissant de plus belle.
— Je ne sais pas ce qu’il chante, mais c’est beau.
Elle fit une pause.
— La viande est comment ? Je n’ai pas l’habitude d’être sur la route.
Sa réaction amusa Lyvuun.
— C’est vrai que c’est beau, je me demande de quoi ça parle. Et pour la viande, c’est comment dire... Un poil trop cuit. Mais ça reste bien meilleur que si je m’étais occupée de sa préparation !
— Ça fera une nouvelle chose à apprendre ! s’exclama Sohan avec un peu trop d’entrain.
Elle prit une bouchée de sa part et acquiesça.
— C’est trop cuit tu as raison, je ferai mieux la prochaine fois.
— Ça se mange quand même ! répondit Lyvuun. Puis, ce n’est pas le plus simple de cuisiner sur un si petit feu.
Elle mangea une nouvelle bouchée.
— Tu sais quoi ? Je suis bien contente que ce soit toi qui aies été choisi pour me seconder, tu comprends parfaitement les gens et ça, c’est un atout.
Sans répondre aux deux premières phrases, la jeune espionne fit un clin d’œil à son interlocutrice et fit un petit salut militaire.
— Ça fait partie de mon travail m’dame !
Elle prit une autre bouchée.
— Sans blague, je suis heureuse de te seconder. Jusqu’ici ça a été un succès, à une chute près, et tu es une belle personne.
— C’est ça, moque-toi.
Lyvuun lui poussa amicalement l’épaule en riant. Allez, va dormir, je prends le premier tour de garde. Et promis je fermerais les yeux sur ce qu’il pourrait se passer sous cette tente.
— Oui cheffe !
Sohan se leva, ôta ses armes et alla s’allonger sous la tente que Ceyaolt avait montée.
Son chant finit et le repas achevé, Ceyaolt la rejoignit. Aux portes du sommeil, Sohan demanda :
— C’était beau ta chanson. Ça parlait de quoi ?
— C’est un chant d’excuse à Huitztzilin, Lactlido, mon dieu de la guerre. C’est ce qu’on doit faire quand on lui fait défaut.
Intéressée et un peu surprise, Sohan releva la tête.
— Je n’ai pas l’impression que tu ai « failli » tout à l’heure. Tu as obtenu des informations et tu t’en es débarrassé sans une égratignure.
Ceyaolt étouffa un ricanement désabusé.
— Nous avons une obligation religieuse envers Huitztzilin. La victoire acquise, j’aurais dû lui arracher le cœur encore battant pour l’offrir à mon dieu.
Il fit une pause.
— Mais rassure-toi, j’ai toujours détesté faire ça. Je trouve ça salissant pour les mains et pour mon âme. C’est pour ça qu’à mon âge, j’étais encore esclave.Puis j’ai toujours été plus proche d’Impa et d’Oremap, nos dieux de l’amour tendre et de l’amour, disons, plus physique.
Tous deux se regardèrent un court instant, puis d’un même mouvement rapprochèrent leurs lèvres l’une de l’autre.
À l’extérieur, Lyvuun prit soin de ne pas écouter les bruits venant de derrière elle. Le regard planté dans les flammes, elle pensait à son ancienne amante et ennemie, cherchant à comprendre son esprit tordu.
Au bout d’une dizaine de minutes, le silence finit par s’installer sur le campement. Restant à son poste, la chevaucheuse décida de laisser Ceyaolt dormir un peu plus longtemps, de toute façon elle n’avait pas sommeil.
Alors qu’elle se réinstalla plus confortablement contre Kaya, un ronflement assourdissant s’éleva de la tente. Lyvuun sourit, avec ce bruit Sohan viendrait certainement la rejoindre, sauf si elle trouvait un moyen de faire cesser les ronflements de l’Azca.
Un mouvement dans la tente sembla lui donner raison, mais c’est Ceyaolt, nu comme à son habitude qui repoussa les pans de tissus.
Prenant sa bouteille de lait, il en but une longue rasade, et dit à Lyvuun :
— Va te coucher Ioruhama, je veille. De toute façon, avec le bruit qu’elle fait, je préfère rester debout.
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