top of page
Rechercher

Chapitre 7

Au petit matin, quand ses camarades furent réveillés, Sohan quitta son poste pour les rejoindre sous les moqueries amicales de Lyvuun.


De meilleure humeur que la veille, la chevaucheuse prépara Kaya au départ. Bien que ses sentiments restent partagés, elle était heureuse de pouvoir enfin profiter de la route à travers la campagne pour voler avec sa griffonne.


Le groupe se mit rapidement en marche. Ceyaolt et Sohan au sol sur Azcalt, Lyvuun dans les airs avec Kaya. De son point de vue, le duo pouvait surveiller les environs, évitant à leurs amis de se faire surprendre dans une quelconque embuscade.


Ceyaolt leva la tête pour suivre des yeux la coursière et sa passagère. Sentant qu’Azcalt aurait besoin d’une vraie pause, il demanda à Sohan :


— J’imagine que nous n’arriverons pas aujourd’hui à destination. Je voudrais savoir : connais-tu une auberge ou un relai sur ce chemin Lactlido ? Avec des chambres, ce serait parfait, ajouta-t-il innocemment.


Ignorant le sous-entendu, Sohan réfléchit.


— Je crois qu’il devrait y avoir une auberge dans quelques dizaines de kilomètres. Si mes souvenirs sont bons, elle n’est pas toujours bien fréquentée, mais elle ferait l’affaire.


Le guerrier hocha la tête, presque déçue que sa compagne n’ait pas réagi plus que cela.


Suivant la route, ils arrivèrent bientôt devant un relai un peu miteux. L’endroit était mal entretenu, mais elle avait le « privilège » de proposer une écurie pour les griffons.


Lyvuun fit atterrir Kaya en un large arc de cercle. Elle descendit au sol d’un saut et retira ses lunettes de vol. Après une courte analyse de la façade, elle lâcha :


— C’est pas le grand luxe, mais ce sera mieux que rien !


Puis elle ajouta en se tournant vers ses amis :


— On est d’accord qu’on prend deux chambres, hein ? Puis au pire, Ceyaolt viendra dans la mienne si tu ronfles trop.


Elle adressa un clin d’œil taquin à Sohan qui lui tira la langue.


— Je ne ronfle pas à chaque fois, oh, marmonna-t-elle avant de se diriger vers l’entrée de l’auberge.


— Et promit Ioruhama, si c’est le cas je mettrai un pantalon, dit Ceyaolt avant de partir étriller Azcalt.


Une fois à l’écurie et profitant d’être seul avec Lyvuun, Ceyaolt demanda :


— J’ai bien compris que tu n’aimais pas en parler, mais que peux-tu me dire sur Cyorah, Ioruhama ? C’est important de connaître son ennemi.


Le visage de Lyvuun s’assombrit immédiatement, mais Ceyaolt avait raison. Tout en s’occupant de Kaya, elle lui donna plus d’éléments sur Cyorah :


— Pour commencer, c’est une manipulatrice particulièrement douée. Je sais qu’en temps normal elle s’aide de sa magie pour obtenir ce qu’elle désire des gens, mais…


Elle hésita.


— Mais pour moi, elle n’en a même pas eu besoin. À moins que je n’y sois résistante ? Dans tous les cas, elle a réussi à avoir tout ce qu’elle voulait de moi sans le moindre effort.

Lyvuun marqua une pause en détachant la selle de Kaya, puis elle reprit :


— Cyorah a également constamment un coup d’avance sur ceux qu’elle aime appeler ses « proies » et elle s’amuse particulièrement de ça. Elle va donc certainement tenter de nous faire tourner bourrique avec je ne sais quel plan tordu. En plus de cela, elle a un penchant manifeste pour les tortures « originale », mais ce qu’elle préfère par-dessus tout c’est tester ses pouvoirs sur de nouvelles victimes.


Tout en disant cela, la chevaucheuse effleura la marque profondément ancrée dans sa joue droite.


— En y repensant, je ne sais même pas comment j’ai fait pour passer à côté de cette part sombre de sa personnalité et encore moins de ses agissements plus que malsains.


Posant une main réconfortante sur l’épaule de Lyvuun, Ceyaolt dit :


— On a un dicton chez moi : « C’est pour Impa que quetzalipa a vendu ses ailes ». Ça signifie qu’on fait des trucs idiots quand on aime. J’ai moi-même vendu mes ailes quelquefois. Le plus important c’est que tu te pardonnes.


***

Pendant que les deux chevaucheurs s’occupaient de leurs griffons, Sohan entra dans la bâtisse pour y réserver des chambres pour la nuit. À l’intérieur, quelques tables se disputaient l’espace libre devant un comptoir. Derrière celui-ci, un homme remplissait un cahier abimé d’un air mécontent. Quand Sohan pénétra l’auberge, il leva la tête vers elle et se composa un sourire en reconnaissant l’uniforme de la Légion.


— Bonjour ma p’tite dame ! Qu’est-ce c’que j’peux faire pour vous ? s’exclama-t-il d’un air faussement content.


— Bonjour Monsieur, répondit la nouvelle venue en traversant la pièce. Mes compagnons et moi cherchons une table et un lit pour ce soir. Vous pourriez nous fournir ça pour une somme honnête ?


L’homme fit mine de chercher quelque chose sous le comptoir puis acquiesça.


— Effectivement, j’ai quelques chambres de libres ce soir, combien vous en faudra-t-il ? La nourriture est comprise dans le prix.


Ses yeux pétillèrent au moment de poser sa dernière question.


— Vous avez des griffons ? Si oui, je peux dépêcher quelqu’un pour s’en occuper demain matin.


Avec un sourire, Sohan répondit aux différentes questions et indiqua que les chevaucheurs s’occuperaient eux-mêmes de leurs montures. Les deux interlocuteurs négocièrent le prix un bon moment, puis l’aubergiste donna les clés des deux chambres à Sohan en signe d’entente. Celle-ci ressortit du relai tranquillement.


Sohan tourna au coin des écuries en agitant les clés


— Bonne nouvelle !


Quand Lyvuun et Ceyaolt entrèrent dans son champ de vision, l’ambiance solennelle lui sauta aux yeux. Elle se tut et s’arrêta.


Lyvuun adressa un sourire triste au guerrier.


— Ce dicton est parfaitement vrai, mais je t’avoue que j’ai encore peur de continuer à agir aussi bêtement en me retrouvant face à elle.


Lyvuun profita de l’occasion que lui donnait l’arrivée de Sohan pour changer de sujet.


— On dirait que ma supposition de prendre deux chambres n’est pas tombée dans l’oreille d’une sourde, constata-t-elle en voyant les deux clés.


Sohan traversa la distance qui la séparait des deux chevaucheurs et donna une des clés à Lyvuun.


— C’est pour faire des économies, dit-elle sans revenir sur ce qu’elle venait d’entendre.


Lyvuun récupéra la clé en lui adressant un sourire complice.


— Évidemment !


Azcalt s’approcha de Sohan et colla sa tête contre visage en piaillant doucement. La jeune femme donna une caresse à la griffonne en demandant :


— Eh bien ! Qu’est-ce qui t’arrive ma jolie ?


— Je crois qu’elle essaye couvrir ton odeur avec la sienne, dit Ceyaolt. Pour te protéger des prédateurs. Ça veut dire qu’elle t’a adoptée.


Caressant la tête d’Azcalt, Ceyaolt s’approcha de Sohan et l’embrassa passionnément.

— C’est la première fois qu’elle adopte quelqu’un aussi vite. C’est bon signe.


La jeune femme rendit son baiser à Ceyaolt. Elle se pencha pour poser son front contre le bec d’Azcalt, mimant le comportement de la griffonne.


— Merci à toi, ça me touche beaucoup.


Ronronnant d’extase, Azcalt se frotta du bout du bec au crâne contre le front de Sohan. Ceyaolt partit d’un grand rire, surtout pour cacher les quelques larmes de joie qui menaçaient d’envahir ses yeux.


— Je crois qu’il est temps que nous mangions ! Azcalt, je t’emprunte ta nouvelle amie. Nous reviendrons te voir plus tard.


Avec une dernière caresse sur la tête de sa monture, le trio quitta l’écurie.


Quand ils entrèrent dans le relai, le gérant écarquilla les yeux en découvrant la carrure de Ceyaolt. Il reconnut la jeune femme qui lui avait loué les deux chambres quelques minutes auparavant et s’adressa au groupe :


— Soyez les bienvenus dans notre humble établissement. Si vous avez la moindre question, n’hésitez pas à m’appeler. Vos chambres sont à l’étage, vous pouvez y accéder en montant cet escalier-là. Lorsque vous voudrez manger, installez-vous à table et je viendrais vous voir.


Après avoir salué l’aubergiste, Lyvuun suggéra à ses compagnons d’aller déposer leurs affaires avant de se mettre à table.

— C’est gentil de proposer Ioruhama, mais je m’en occupe si tu le permets. Il ne sera pas dit que Ceyaolt aura laissé une amie être son…


L’homme hésita.


— Cheval de trait ? On a une expression pour ça chez moi : « Seuls les esclaves obéissent, les hommes font avec le sourire ».


Prenant les sacs des deux femmes en plus du sien, Ceyaolt grimpa les escaliers quatre à quatre. Lyvuun voulut protester, mais l’homme avait déjà disparu à l’étage. L’aubergiste lui adressa un air surpris, se demandant franchement qui était cet homme.


— Ne vous inquiétez pas, c’est normal chez lui.


Ne voulant pas se faire davantage remarquer, quoiqu’en étant légionnaire il était déjà difficile de passer inaperçue, Lyvuun poussa Sohan devant elle pour qu’elle monte l’escalier. Comme l’avait indiqué l’aubergiste, un long couloir desservant plusieurs chambres se présenta à elles. Lyvuun sortit sa clé pour en consulter le numéro et chercha sa correspondance en rejoignant Ceyaolt qui attendait patiemment au milieu du couloir. Elle dut encore faire quelques pas avant de trouver la bonne porte qu’elle ouvrit directement. La pièce avait pour seuls meubles un lit bancal ainsi qu’une commande usée par le temps.


— C’est aussi charmant que l’extérieur, commenta-t-elle. Tu peux poser mes affaires ici, je les rangerais tout à l’heure.


Ceyaolt s’exécuta, visiblement heureux d’aider. Pendant que ses amis cherchaient leur chambre, Lyvuun s’avança vers la petite fenêtre qui illuminait la sienne d’un magnifique coucher de soleils. D’ici, elle pouvait voir l’écurie aviaire, ce qui la rassura légèrement, cette auberge ne la mettant pas particulièrement à l’aise.


La chambre de Sohan et Ceyaolt se trouvait deux portes plus loin. À l’intérieur, il n’y avait qu’un lit trop étroit pour deux personnes au matelas dégonflé et un tableau au goût discutable accroché de biais sur le mur opposé.


— J’ai payé beaucoup trop cher, marmonna Sohan voyant l’état de la pièce.


Passant ses bras autour de la jeune femme, Ceyaolt dit en lui mordillant le cou :


— Pas grave, on se serrera. Et si on n’arrive pas à dormir, on pourra trouver d’autres occupations.


Se retournant sans sortir de l’étreinte du guerrier Azca, Sohan le regarda dans les yeux et rit.

— Es-tu un rongeur pour mordiller tout ce qui te passe sous les dents ?


Elle se hissa sur la pointe des pieds pour l’embrasser avant de sortir de la chambre pour rejoindre Lyvuun.


Un peu frustré, Ceyaolt la suivit.


À nouveau réunis, les trois compagnons se dirigèrent vers le rez-de-chaussée et s’installèrent à table. Aussitôt, le tenancier apparut en leur demandant ce qu’ils désiraient boire. Préférant éviter de trop s’enivrer Lyvuun ne commanda qu’une carafe d’eau, ses amis approuvèrent son choix silencieusement.


— Vous avez du lait ? De chèvre, si vous avez.


Devant l’expression médusée de l’aubergiste, Ceyaolt ajouta :


— Vous savez, ce liquide blanc ? On en donne aux enfants ? Oui ? Alors un pichet mon ami !


En attendant que l’homme revienne, Ceyaolt se tourna vers ses compagnes de voyage :


— J’aimerais bien vous connaître un peu mieux mes amies… Ioruhama Lyvuun, Lactlido Sohan, une anecdote pour mes oreilles ?


— Laissons Sohan se dévoiler dans ce cas, suggéra Lyvuun. Je vous en ai déjà pas mal dit sur mon compte.


Sohan se frotta le visage en réfléchissant. Finalement, elle prit la parole, un sourire nostalgique aux lèvres.


— Je n’ai pas l’habitude de parler de mon enfance, mais ça sera plus léger qu’une histoire de guerre. Quand j’étais petite, avant que mon officier m’adopte, je vivais dans la rue. Ce n’était pas si désagréable, j’étais constamment avec mes amis et nous n’avions aucune obligation. Comme nous étions petits, certains marchands nous laissaient des morceaux de nourriture à manger, et nous nous collions aux murs des maisons pour avoir un peu de chaleur pendant la nuit. L’un de mes meilleurs amis s’appelait Gareth. C’est l’une des personnes les plus intelligentes que j’ai jamais rencontrée, même aujourd’hui. On faisait les quatre cents coups ensemble. On se faisait des concours, celui qui ramènerait le plus de piécettes d’argent à la fin de la journée, celui qui se ferait passer pour malade pour rester au chaud dans une maison le plus longtemps. Ces moments font partie des plus beaux souvenirs de ma vie. J’ai dû laisser Gareth quand mon officier m’a adoptée, et je ne sais pas ce qu’il est devenu, mais je ne désespère pas de réussir à le retrouver un jour.


Les larmes aux yeux, elle regarda Lyvuun et Ceyaolt à tour de rôle.


— Il me manque beaucoup. C’est lui qui m’a appris à rester joyeuse à tout moment.


Bouleversé par cette histoire, Ceyaolt pris la main de Sohan dans la sienne en détournant un peu la tête pour qu’elle ne puisse vie les larmes perler de ses yeux.


— Moi, Ceyaolt, Chevaucheur de la quetzalipa Azcalt, Chasseur du Jaguar Noir, Gardien du Temple Sacré d’Impa, Amant d’Impa et d’Oremap, Suivant et Protecteur de Lloque Matla le Grand Ambassadeur, et Capitaine de l’armée Lantardienne jure par mon nom et mes armes de t’aider dans ta quête. Quand ma mission actuelle sera finie.


Regardant enfin Sohan dans les yeux, il ajouta :


— Pour toi, Xochitluchuy, toujours pour toi.


Lyvuun ne s’attendait pas à ce que Sohan leur livre un tel pan de sa vie. Elle adressa un air désolé à la jeune femme.


— Effectivement, ça m’a l’air d’être quelqu’un bien, j’espère que tu le retrouveras.


L’aubergiste revint au même moment, avec un plateau chargé de leurs commandes respectives. Il les déposa en silence et sembla hésiter à les interrompre.


— Qu’est ce que vous avez de bon à nous proposer ? lui demanda Lyvuun, ne voulant pas le voir rester près d’eux sans rien dire éternellement.


— Excusez-moi, mais je n’aurais pas grand-chose d’autre qu’un ragoût de mouton ou du cochon rôtit avec des légumes.


Avisant une nouvelle fois l’état plus que douteux de la salle à manger, Lyvuun opta pour le cochon. Au moins avec ça elle saurait ce qu’elle a dans son assiette. Puis elle attendit que ses amis passent commande.


Une fois le repas pris, les trois camarades devisèrent gaiement devant le feu. Après être allés s’occuper de Kaya et Azcalt, il fut temps pour Sohan et Ceyaolt de souhaiter une bonne nuit à Lyvuun. Tous trois retrouvèrent leurs pénates et s’endormirent paisiblement.

0 vue0 commentaire

Comments


bottom of page