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Chapitre 9

Lorsque les soleils se levèrent enfin, et considérant que le danger était définitivement écarté, la chevaucheuse réveilla doucement Sohan pour lui la prévenir qu’elle allait voir les griffons.


En descendant, elle ne répondit pas au salut amical de l’aubergiste, demandant directement de la nourriture pour Kaya et Azcalt. Voyant que l’homme désirait lui poser une question, elle prit les devants :


— Oui, notre ami va bien, et non vous n’aurez aucun problème. L’incident ne doit même plus être cité.


Elle saisit le seau de viande qu’il lui tendit.


— Et heureusement, nous étions vos seuls clients hier soir.


Puis elle sortit et se dirigea directement vers les écuries aviaires les yeux rivés vers le sol. Malgré cela, il fallut un moment à l’espionne avant de remarquer les étranges traces dans la terre. De profonds sillons, comme si une charrette était passée par là. Lyvuun fronça les sourcils, les empreintes semblaient fraîches, pourtant, comme elle l’avait soulevé, ils étaient bien les seuls clients présents et elle n’avait entendu aucune charrette durant sa veillée.


En suivant la ligne du regard, la jeune femme constata qu’elle menait droit aux écuries. Accélérant le pas, elle s’arrêta net et lâcha son seau lorsqu’elle découvrit les portes grandes ouvertes.


— Non pas ça…


À l’intérieur, tout était parfaitement rangé, Azcalt dormait paisiblement dans sa stalle. Lyvuun avança tout de même prudemment. Son sang ne fit qu’un tour lorsqu’elle réalisa que Kaya n’était plus là. Ce n’était pas normal, sa griffonne n’était jamais partie en douce de la sorte !


Elle inspecta rapidement les lieux et retrouva un morceau de truite séchée au sol. Quelqu’un était donc venu durant la nuit pour appâter la griffonne. Et il n’y avait aucun doute sur son identité : Cyorah, Kaya n’autorisant que les personnes qu’elle connaissait à l’approcher sans la présence de sa chevaucheuse. Lyvuun savait que Kaya avait toujours appréciée la magicienne, et ce, malgré ce qu’elle ait pu lui dire de cette relation après sa séparation avec Cyorah.


Comprenant que son ancienne amante était parvenue à kidnapper Kaya, Lyvuun frappa le montant de la porte en jurant. Puis elle fit demi-tour en courant et appelant Sohan.


Lorsqu’elle entra dans le relai, Sohan dévalait les escaliers. Les cheveux en bataille et la tunique froissée, elle n’avait pris le temps que de saisir une arme quand elle avait entendu Lyvuun l’appeler.


— Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle quand elle vit l’espionne franchir la porte. Les griffons vont bien ?


À l’expression de Lyvuun, elle devina la réponse avant que celle-ci ne la prononce.


— Kaya a disparu ! lâcha Lyvuun les dents serrées. Si elle touche ne serait-ce qu’à une de ses plumes je m’occupe personnellement de lui arracher la tête à cette foutue…


Elle ne termina pas sa phrase, criant de rage. En la voyant s’approcher, l’aubergiste fila immédiatement derrière le comptoir, mais il ne put aller bien loin. Des deux mains, Lyvuun le saisit par le col et le tira à sa hauteur.


— Toi, tu restes là. On récupère ta charrette et ton cheval et j’espère pour toi que tu en as au moins un des deux !


L’homme hocha la tête.


— J’ai besoin de mon cheval, sans lui je ne peux pas rejoindre la ville.


— On te le renverra ton canasson ! Va le préparer.


Elle le repoussa violemment et se massa les tempes pour tenter de se calmer.


— Attends, attends, tempéra Sohan. Quand tu dis elle, tu parles de Cyorah ? Elle était ici ?

Sohan tira une chaise et la mit à disposition de Lyvuun pour qu’elle s’assoie. Elle alla ensuite derrière le comptoir pour préparer un grand verre d’eau et le donna à Lyvuun tout en écoutant sa réponse.


— Oui ! Et ce pseudo « kidnapping » qui a coûté un œil à Ceyaolt était clairement une diversion pour qu’on ne les entende pas !


Elle s’assit lourdement sur la chaise et prit sa tête dans ses mains.


— Pourquoi je ne l’ai pas tuée il y a deux ans ?


Sohan s’accroupit et posa ses mains sur les genoux de Lyvuun.


— Ne te flagelle pas. Ce n’est pas ta faute si elle est revenue. Et c’est encore moins de ta faute si Kaya a été enlevée. Je te connais, tu ferais tout pour ta griffonne. Et tu sais quoi ? Tu vas le montrer encore une fois en allant la chercher. Et je vais t’aider. On va t’aider.


Lyvuun secoua la tête.


— Vous allez vous faire tuer.


— Tu l’as dit toi-même, on va s’en sortir. Aies confiance, on va y arriver tu vas voir.


Elle sourit largement.


— Et puis, tu as la meilleure assistante du monde, qu’est-ce qui pourrait se passer ?


Cette dernière remarque réussit à arracher un sourire à la jeune femme.


— C’est vrai. Heureusement que tu es là.


Elle avança la main pour prendre le verre qu’elle lui tendait et se rendit compte qu’elle tremblait. La fixant un instant, elle finit par la refermer en poing et se redresser subitement.

— Allons voir l’état de Ceyaolt. Nous devons partir au plus vite et l’emmener chez un médecin. Après nous réfléchirons à comment retrouver Cyorah.


— Je te laisse t’occuper de Ceyaolt, de mon côté je vais voir où en est l’aubergiste avec sa charrette.


Devant le silence interloqué de Lyvuun, elle ajouta en haussant les épaules.


— Ce n’est pas la peine que nous soyons à deux pour faire la même chose. Tu l’as dit, pas de temps à perdre. Et je crois que tu as légèrement effrayé notre hôte, autant que j’aille le voir.


— Il va s’en remettre, déclara la jeune femme en montant les escaliers. Et si il ne veut vraiment pas se séparer de son cheval, peut être qu’Azcalt pourra nous tracter ?


— Avec Ceyaolt dans cet état, je ne sais pas si elle voudra faire autre chose que rester allongée près de lui, mais on pourra toujours essayer.


Elle s’engagea dans le couloir dans lequel le tavernier avait disparu après que Lyvuun l’ait secoué et déboucha dans une arrière-cour aussi bien entretenue que le reste du relai. L’homme était en train d’harnacher son cheval sur une charrette vétuste en bougonnant dans sa barbe. Sohan s’approcha en lui proposant son aide.


— Non. Je sais encore m’occuper de mon cheval, répondit l’homme sèchement. Votre amie là, faut qu’elle s’calme, c’est pas une façon de parler à un honnêt' homme.

Il tourna le dos à son interlocutrice pour resserrer une boucle et ajouta tout bas pour lui-même.


— Ces bonnes femmes j’te jure. Réquisitionner un ch'val comme ça sur un coup d’tête. Non, mais on est où ?


Ravalant son agacement, Sohan proposa une petite somme d’argent pour la réquisition du cheval. L’homme se retourna, les yeux pétillants de cupidité.


— Vous savez ma p’tite dame, un ch'val comme ça, y’en a pas beaucoup dans l’coin. Puis c’est mon seul moyen de déplacement. Il vaut au moins l’double de c’que vous proposez.


— Vous savez mon p’tit vieux, répondit Sohan sur le même ton, je n’ai aucune obligation de vous payer pour ce cheval. Un gradé de la Légion vous le réquisitionne, vous obéissez et c’est tout. Alors je veux bien augmenter mon prix de deux pièces, mais c’est tout ce que vous aurez. À prendre ou à laisser.


L’homme posa sa main sur sa poitrine, une expression de douleur feinte sur le visage.

— Vous m’arrachez l’cœur, ma p’tite dame. Mais d’accord, j’espère que j’aurai assez pour manger d’ici que mon ch'val me revienne.


L’argent changea de mains, et Sohan retourna dans le bâtiment.


***


La lumière du jour combinée aux cris de rage de Lyvuun permirent à Ceyaolt d’émerger de son sommeil. Une douleur lancinante venant du côté droit de son visage finit de le réveiller. Par réflexe, il y porta sa main et rencontra le pansement de fortune fait sur son œil. La douleur devint plus brutale. Il reposa sa main. « Il faut que je me lève. Il faut que je sache si Sohan va bien », se dit-il.


Debout face à la fenêtre Lyvuun triturait son pendentif, un porte-bonheur qu’elle ne quittait jamais, du moins c’est ce qu’elle affirmait. Elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule en l’entendant grogner. Sohan entra dans la chambre quelques secondes plus tard et s’adressa à elle.


— Bonne nouvelle, il veut bien nous louer son cheval.


Regardant Ceyaolt, elle le vit bouger. Elle se dirigea vers le lit et posa une main sur l’épaule du blessé.


— Comment tu te sens ?


D’une voix pâteuse, Ceyaolt répondit


— Ha, Xochitluchuy… je suis content de te voir. Enfin… à moitié. C’est aussi grave que je pense ? Et toi ? Pas de blessure ?


— Tu..


Elle hésita puis décida de dire la vérité.


— Je pense que oui. Il faut que tu voies un médecin. Mais tu es vivant.


L’Azca hocha difficilement la tête avant de demander :


— Au fait, on sait avec quoi ils m’ont drogué? Et c’était quoi ce raffut tout à l’heure ? J’ai cru t’entendre crier Ioruhama ?


Sohan ne bougea pas, laissant à Lyvuun le soin de répondre. Derrière elle, celle-ci serra les poings, mais ne dit rien. Sohan releva la tête et regarda sa responsable.


— Kaya a été enlevée par Cyorah. Lyvuun pense que l’attaque dans la chambre était là pour nous distraire le temps qu’elle puisse le faire. Et je suis assez d’accord avec elle.


— Kaya ? Mais pourquoi ? Et Azcalt ? Elle va bien ?


Ses deux compagnes l’ayant rassuré à ce sujet, Ceyaolt réfléchit :


— Je ne comprends pas. Pourquoi prendre autant de peine ? Nous étions à leur merci cette nuit, avec leurs moyens ils auraient pu nous tuer. Pourquoi juste nous faire dormir ? Pourquoi ne pas supprimer Kaya et Azcalt ? Ça aurait été plus simple.


Il tenta de se lever.


— Assez perdu de temps, il faut partir.


Tremblant sur ses jambes, le souffle court, le grand Azca trébucha.


— Je crois que je n’aurais pas la force de monter Azcalt. Xochitluchuy, tu voudrais bien la guider pour moi ? Je suis sûr qu’elle t’acceptera.


— Je ne sais pas ce que Cyorah nous veut réellement, dit Lyvuun qui avait l’impression de répéter cette phrase en boucle depuis leur départ. Mais une fois arrivés, j’interrogeais mes contacts. Et pour les déplacements, l’aubergiste est en train de préparer sa charrette, je conduirai.


Elle marque une pause.


— Au fait, Ceyaolt, qui t’a donné l’information de sa présence à la capitale ?


Ceyaolt réfléchit.


— Bon, je peux vous le dire, j’ai un statut spécial : je suis censé faire le lien entre les services secrets de chez vous et les miens, tout en étant officiellement un soldat « normal ». D’où mon grade, il me donne une certaine liberté de mouvement. Il y a deux semaines, Pelactan, un de nos agents est venu expirer à ma porte. Il a juste eu le temps de me soupirer un nom, « Cyorah ». J’ai pris mes renseignements et j’ai été te chercher Ioruhama Lyvuun. Je ne sais pas ce qu’elle a à voir avec mon pays, mais je dois la retrouver. Pelactan était un bon élément, un des meilleurs. S’il a fait tous ces efforts, il avait forcément une raison.


Sohan se glissa en silence sous le bras du guerrier pour l’aider à tenir debout. Elle resta muette, préférant laisser la parole à Lyvuun.


Son orgueil noyé par l’urgence, Ceyaolt s’appuya sur Sohan, appréciant son aide.


La surprise de la révélation passée, Lyvuun commença à assembler quelques éléments. Le lien entre la magicienne et sa venue à la capitale lui parut tout d’un coup moins mystérieux.


— Intéressant… Cyorah étant elle-même espionne pour Alnorr j’ai comme l’impression qu’elle est impliquée dans quelque chose de bien plus gros, et dangereux, que nous ne le pensions.


Ceyaolt acquiesça.


— J’aurais peut être dû t’en parler quand je t’ai rencontré Ioruhama, mais je ne savais pas si je pouvais te faire confiance. Et après…


Il jeta un clin d’œil à Sohan.


— Mon attention a été quelque peu détournée.


La jeune femme regarda Ceyaolt comme s’il lui apparaissait pour la première fois. Elle sourit et répondit à son clin d’œil.


— Désolée, rit-elle en haussant les épaules. Plus sérieusement, j’ai gardé contact avec un ami d’enfance qui pourra nous cacher et nous fournir du matériel au besoin, à la capitale.


— Je comprends parfaitement, ne t’en fais pas, dit Lyvuun en hochant la tête. Par contre pour un espion j’ai connu plus discret.


Elle laissa échapper un léger sourire avant de s’adresser à Sohan :


— Si tu es certaine qu’on peut lui faire entièrement confiance, c’est d’accord. Mais il va tout de même falloir trouver une explication à l’état de Ceyaolt s’il devient trop curieux et une autre pour justifier notre venu à la capitale. On pourrait ne rien dire, mais j’ai peur qu’il ne se pose trop de questions si nous ne lui apportons pas de réponse.


— Il me doit un ou deux services qu’il sera plus que ravi de me rembourser, on peut avoir confiance en lui. Mais je suis d’accord, il nous faudra une raison pour Ceyaolt.


Elle jeta un œil par la fenêtre. Les deux soleils commençaient déjà à être haut dans le ciel.

— Nous trouverons une histoire en route. Allons-y, l’aubergiste va s’impatienter.

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